Les chats sont-ils des animaux sauvages ou domestiques ?

Les chats sont-ils des animaux sauvages ou domestiques ?

Le 23/07/2015

Les experts n’arrivent pas à déterminer si nos matous sont une espèce apprivoisée.

L’autre soir, avant que nous ne bordions à deux nos jumeaux de deux ans et demi, ma femme leur a lu l’un de leurs livres préférés, Where the Wild Things Are [Où sont les bêtes sauvages, Max et les Maximonstres en français]. Juliet, dans son pyjama à motifs dalmatiens, lui a demandé: «Maman, où sont les bêtes sauvages?» Ma femme a jeté un œil à notre chat tigré gris et blanc, roulé en boule sur une chaise. «Eh bien, a-t-elle répondu, Jasper est une bête sauvage.» Juliet prit un air incrédule. «Jasper n’est pas une bête sauvage, rétorqua-t-elle. C’est un chat!»

Le doute est permis. Si les chats vivent parmi nous depuis près de dix-mille ans et sont les animaux de compagnie les plus populaires du monde, l’idée qu’ils soient vraiment des animaux domestiques divise les experts. Nos compagnons félins n’ont pas vraiment besoin de nous après tout: ils sont capables de chasser pour se nourrir et retournent à l’état sauvage lorsqu’ils ne sont plus en contact avec des humains. Un article scientifique publié l’année dernière et révélant certains des premiers gènes responsables de la domestication—tous présents dans le génome du chat—qualifie quand même ces animaux de «semi-domestiqués». D’autres scientifiques s’opposent à cette désignation avec véhémence.

«Il n’existe aucune différence entre un chat domestique et n’importe quel autre animal apprivoisé, affirme Greger Larson, biologiste spécialiste de l’évolution à l’université d’Oxford, qui a étudié la domestication des cochons, des chiens et de toute une variété d’autres animaux. Bonne chance pour convaincre une chèvre ou un mouton de passer une nuit chez vous.»

Intégration de la famille humaine

Le nœud du débat est la relation que nous entretenons avec les chats. Certes, dans l’Égypte antique, ils avaient le statut de divinités, mais après qu’au XIIIe siècle un pape paranoïaque a établi un lien entre eux et la sorcellerie, les félins vilipendés furent considérés comme diaboliques, imprévisibles et peu dignes de confiance –des stéréotypes qui persistent même à notre époque où les adorables vidéos de matous font fureur. Alors la question se pose: les chats sont-ils les équivalents des chiens mais en plus furtifs, tout à fait partants et parfaitement capables d’intégrer la famille humaine? Ou bien ont-il quelque chose de réellement féroce, de sauvage et d’insaisissable qui les empêchera à jamais de se mêler à notre tribu? En d’autres termes, les chats sont-ils avec nous ou contre nous?

La question taraudait déjà les juristes d’antan, comme je l’ai découvert en écrivant Citizen Canine: Our Evolving Relationship With Cats and Dogs, qui suit l’épopée des animaux domestiques depuis l’état sauvage jusqu’au panier familial. En 1894, un homme de Baltimore fut arrêté pour avoir volé le chat de son voisin. Mais alors que le juge s’apprêtait à le condamner, le procureur général du Maryland intervint. «Un chat, déclara-t-il, n’est pas un bien. […] C’est autant un animal sauvage, légalement, que ses cousins –le tigre et le chat sauvage.» Le juge fut obligé de relâcher l’auteur du larcin. Aux yeux de la loi, un voleur de chat n’avait rien volé du tout.

Jugement de la cour suprême de l’État du Maine de 1914

Au début des années 1900 cependant, alors que les chats devenaient plus nombreux dans les foyers, la loi changea de disque. En 1914, la cour suprême de l’État du Maine dut définir si un homme avait été légalement dans son droit en abattant le chien de son voisin qui chassait son matou. La loi de l’État, souligna le tireur, permettait de tuer un chien qui «importunait, blessait ou tuait un animal domestique». Mais est-ce qu’un chat entrait dans cette catégorie? Après moult délibérations, le tribunal conclut que oui:

«Aucun autre animal n’a développé une affection si forte pour son foyer, statua-t-il. Le chat est un animal domestique.»

Modifications génétiques

Pourtant, les scientifiques restaient divisés. Le problème vient en partie du fait qu’ils n’arrivent pas à se mettre d’accord sur la définition de «domestique». Pour certains, cela se limite à être apprivoisé et capable de vivre aux côtés des humains, génération après génération, critères auxquels les chats répondent aisément. D’autres cependant proposent des standards plus rigoureux: des modifications génétiques et comportementales complexes qui transforment radicalement une créature. Les chats sont-ils à la hauteur dans ce domaine?

D’après Wes Warren, non. Warren, biologiste à l’Université Washington de Saint-Louis et auteur principal de l’étude publiée l’année dernière sur le génome du chat, évoque d’abord la question de la docilité. Oui, dit-il, il y a des chats câlins, mais il y a aussi beaucoup de chats nerveux et agressifs –leur spectre comportemental est bien plus large que celui observé chez les chiens. Il reproche aussi aux chats leur trop grande indépendance.

«Les chats ne viennent vous quémander de l’affection que quand ça leur chante, explique-t-il. La plupart du temps ils se débrouillent tout seuls.»

Après tout, si un animal n’a pas besoin de nous, pouvons-nous dire que nous l’avons apprivoisé? (Peut-être pas; les scientifiques pensent aujourd’hui que les chats se sont domestiqués tout seuls). Et puis il y a aussi le fait que, au grand dam des ornithologues et autres amateurs de faune sauvage, les chats domestiques chassent presque aussi bien que leurs ancêtres sauvages.

Warren affirme distinguer ces différences au niveau génétique:

«Quand vous regardez les signatures moléculaires de la domestication, il y en a dix fois plus chez le chien que chez le chat.»

Probablement parce que les chiens ont fréquenté les humains bien plus longtemps que les matous –vingt-mille ans de plus, selon certaines estimations. Nos chats, développe Warren, doivent en réalité être considérés comme une sous-espèce de chats sauvages, tandis que les chiens forment davantage leur propre espèce.

Transformation comportementale

Mais Greger Larson n’est pas convaincu. Pour commencer, affirme-t-il, les félins peuvent se montrer tout aussi dociles que leurs homologues canins:

«Vous trouverez facilement des chats plus affectueux que les chiens, davantage à la recherche d’affection humaine.»

Il souligne aussi que les chats ont subi une remarquable transformation comportementale depuis leur entrée dans la société des hommes. Contrairement à leur ancêtre, le chat sauvage, que le naturaliste H.C. Brooke décrivit un jour comme «probablement la moins amène de toutes les créatures vivantes», les chats domestiques sont des «éponges d’amour», comme le disait Ernest Hemingway –des boules de poils ronronnantes caressant davantage l’idée de se blottir sur vos genoux que celle de vous arracher les yeux. Les scientifiques soupçonnent même que les chats ont mis au point des ronronnements et des miaulements spécifiques qu’ils utilisent pour communiquer avec les humains (leur intelligence peut également avoir évolué, mais c’est difficile à démontrer car les chats font d’épouvantables sujets d’étude).

Quant aux signatures génétiques de la domestication, Larson attribue les différences entre chiens et chats à l’élevage intensif des chiens au cours des cent-cinquante dernières années, et non à des différences fondamentales de domestication. Tous ces discours sur la semi-domestication, dit-il, ne font que faire remonter à la surface des stéréotypes vieux de plusieurs siècles selon lesquels les chats sont des êtres étranges.

«Nous n’aimons pas les solitaires, dit-il. Nous nous retrouvons bien plus facilement dans les chiens.»

En franchissant nos seuils, la bête s’efface. Le chat nous apprivoise et nous l’apprivoisons

Alors, les chats, sauvages ou domestiques? Laissez-moi vous raconter une autre histoire sur Jasper. Pour Thanksgiving, toute la famille (y compris nos deux chats) est allée rendre visite aux parents de ma femme, en voiture. Le clan de ma belle-sœur était là aussi, avec ses deux fils de 2 et 5 ans. Un matin, nous nous sommes tous retrouvés au sous-sol: mes enfants criaient de joie devant un train électrique qui crissait sur des rails en métal, leurs cousins se coursaient à vélo tout autour de la pièce et les adultes discutaient en hurlant pour dominer le vacarme. Installé sur un canapé dans un coin, Jasper nous contempla pendant un moment avant de s’endormir tranquillement.

Les chats descendent de prédateurs parmi les plus effrayants du monde. Parfois réservés et mystérieux, lorsqu’ils sortent ils savent s’intégrer au monde violent qui les entoure, ils grognent, bondissent –les yeux écarquillés, les oreilles en arrière, toutes dents dehors. Dans leur jardin, ce sont les rois de la jungle. Et pourtant ils abandonnent tout cela pour nous tenir compagnie –nous, une espèce bruyante, imprévisible et parfois incompréhensible. Lorsqu’ils franchissent nos seuils, la bête s’efface. Ils nous apprivoisent et nous les apprivoisons. Les chats ont peut-être gardé un peu de leur héritage sauvage, mais ils finissent toujours par rentrer à la maison.

Source : Slate

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