En Suisse, la politique du chat unique

En Suisse, la politique du chat unique

Le Monde – 28/09/2014

En février, les Suisses votaient pour l’introduction de quotas de travailleurs étrangers. En novembre, ils retourneront aux urnes pour se prononcer sur la limitation de l’immigration pour protéger l’environnement.

Entre deux référendums sur la place des étrangers, les Helvètes se penchent sur un autre quota : celui des chats. Les matous seraient trop nombreux, selon la SPA locale ; on en dénombre 1,48 million pour 8,1 millions d’habitants. Le chat est accusé d’être un prédateur dangereux : il tue les oiseaux, les musaraignes, les orvets, les batraciens, les libellules… et on lui impute même la disparition du lézard vert des zones urbaines du Bas-Valais. Il faut donc agir. Entre le chat et la souris, c’est tout choisi.

Les idées les plus folles sont nées ces derniers mois dans les villes pour tenter de freiner l’inexorable avancée du chat. En mai, la SPA de Zurich a lancé l’idée de limiter le nombre de félins à un spécimen par foyer. Trente-cinq ans après l’introduction de la politique de l’enfant unique en Chine, la Suisse inventait donc la politique du chat unique. « On compte 10 à 15 renards par kilomètre carré à Zurich, alors qu’il y a 430 chats domestiques pour la même superficie. Il faut stopper leur prolifération. Cette mesure serait appliquée sur une base volontaire », expliquait en juin la biologiste Claudia Kistler, coauteure de l’étude de la SPA zurichoise.

COUVRE-FEU ET CASTRATION

En juillet, la société de défense des animaux de la ville de Saint-Gall, à l’est du pays, a proposé d’instaurer un couvre-feu pour les chats domestiques. Erika Bolt, membre influente de la SPA locale, estime en effet que la situation est particulièrement critique dans les zones habitables, où les chats rôdeurs font un grand nombre de victimes au petit matin. Elle suggère que les propriétaires privent leur animal de sortie entre 20 heures et 8 heures.

Erika Bolt rappelle aussi, au cas où les Suisses l’auraient oublié, que le chat n’est pas une espèce indigène. Ces deux propositions se veulent complémentaires de la grande campagne de castration des chats errants que mène la SPA nationale depuis plus de dix-huit ans, en dépensant 600 000 francs suisses par an (environ 490 000 euros). Dans la partie francophone du canton du Valais, le PBD (Parti bourgeois démocratique, de droite) a même inscrit la lutte contre la surpopulation de chats dans son programme politique.

Mais soyons réalistes : ni la politique du chat unique ni le couvre-feu n’ont la moindre chance d’être appliqués un jour. Certes, les chats sont nombreux en Suisse. Mais le chiffre de 1,48 million inlassablement relayé est en réalité une estimation de l’industrie alimentaire. Leur nombre exact n’est pas connu, car les félins ne sont pas obligés d’être enregistrés officiellement, contrairement aux chiens suisses, qui possèdent tous une puce d’identité.

« Ce sentiment de surpopulation est infondé », commente l’éthologue britannique et spécialiste des chats Dennis C. Turner, professeur à l’université de Zurich. « Rome compte 2 000 chats au kilomètre carré, et il y en a environ 2 350 dans un village de pêcheurs japonais. Ne venez pas me dire que la Suisse souffre d’une surpopulation de chats ! », a-t-il lancé à l’hebdomadaire suisse Le Matin Dimanche.

« Ce sont en effet des réactions plus sensibles que mesurées et scientifiques », ajoute Damien Baldin, historien, auteur d’Histoire des animaux domestiques : XIXe-XXe siècle (Seuil, 2014). « L’idée d’un chat par foyer renvoie la Suisse à ses problèmes de croissance démographique, cela me paraît assez évident. Les pratiques à l’égard des animaux résonnent toujours avec les politiques envers les humains. » Selon le scénario démographique le plus alarmiste, la population suisse passerait de 8,1 million à 11,3 millions de résidents permanents en 2060. Mais aucune projection sur la population des chats domestiques n’a encore été établie par l’Office fédéral de la statistique.

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