Un chien opéré par des chirurgiens : la santé animale, un enjeu...

Un chien opéré par des chirurgiens : la santé animale, un enjeu de santé publique

Le 30/11/2012

Lorsque la SPA lance une chaîne de soutiens pour financer l'opération de Lycka, chien atteint d'une malformation cardiaque, par des chirurgiens "pour humains" et non des vétérinaires, les réactions sont contrastées.

Pour Jérôme Michalon, sociologue spécialiste des relations entre animaux et humains, le cœur de ce chien a permis de prendre le pouls de notre société.

Le 28 novembre, une dépêche AFP annonce qu’un chien souffrant d’une malformation cardiaque rarissime va subir une intervention chirurgicale coûteuse et réservée aux humains. Le tout réalisé par des chirurgiens et non des vétérinaires. L’information ne manque alors pas de susciter de nombreuses réactions, souvent indignées. Un peu plus tard, un contre communiqué tombe : l’information est erronée, le chien (Lycka) sera bien opéré par des vétérinaires, dans un service de pointe certes. Que nous apprend cette micro-tempête médiatique de nos relations aux animaux ? Qu’est-ce qui fait que cette information a fait autant de bruit ?

Prendre des labradors pour des enfants ?

Au premier abord, n’importe quel anthropologue ou sociologue ne manquerait pas de relever, dans les réactions de certains internautes, un fort attachement à la frontière humains/animaux, transgressée ici par cette hypothétique intervention chirurgicale. Même si cette frontière évolue, fluctue depuis de nombreuses années, on remarque qu’elle est persistante et qu’on l’agite comme étendard moral, garant de notre "bonne santé mentale" face à des propriétaires d’animaux de compagnie "devenus fous", prenant des vessies pour des lanternes, ou plutôt des labradors pour des enfants.

Ainsi, les commentaires affligés, du type "On soigne chèrement les animaux, mais que fait-on pour les humains qui meurent de faim ou ceux qui ont besoin d’une intervention coûteuse dans un pays pauvre ?", pleuvent. Ces commentaires témoignent d’une vision de la générosité assez particulière, conçue nécessairement sur le mode de l’exclusion mutuelle, du choix à faire entre différentes causes : on ne pourrait pas se soucier des animaux et des hommes en même temps.

On ne peut que noter le caractère irréaliste d’une telle posture : si l’on s’intéresse à l’histoire de la philanthropie, et à ses liens avec la protection animale, on s’aperçoit bien souvent que le souci de l’animal est associé à un souci pour l’humain. Même si la nature de ce souci peut être très discutable (paternalisme, moralisme, etc.), l’exclusion mutuelle des causes ne semble pas être une réalité constatée. Dans l’esprit de certains, il faudrait donc d’abord s’occuper de tous les humains en souffrance pour pouvoir éventuellement commencer à s’intéresser au sort des animaux : comment adhérer à un horizon tout aussi radical que naïf ?

Version "gagnant-gagnant" de l'expérimentation animale

Surtout quand des histoires comme celles qui nous intéresse insistent sur les bénéfices mutuels qui peuvent découler du souci de l’animal. En l’occurrence, il se trouve que Lycka sera opéré dans un service de recherche qui croise médecine vétérinaire et médecine humaine ; ou plutôt qui soigne les animaux en vue d’améliorer les techniques de prise en charge destinées aux humaines. Une version "gagnant-gagnant" de l’expérimentation animale en somme.

C’est d’ailleurs le credo de la médecine vétérinaire, martelé à l’envi par les professionnels en 2011, l’année mondiale vétérinaire : la santé animale concerne tout le monde, et surtout les humains. Qu’il s’agisse de limiter les épizooties, de contrôler l’hygiène des bêtes destinées à la consommation humaine, le souci de l’animal contribue à garder les hommes en bonne santé. À ce titre, la santé animale a toujours été un enjeu de santé publique majeur.

Depuis quelques années, cette affirmation prend de l’ampleur et le rapprochement entre médecines animale et humaine s’est accentué. L’émergence d’une conception globale de la santé, mettant en avant les facteurs environnementaux, ou encore de la "conservation médecine" (pratique qui s’intéresse à la préservation des espèces animales au nom de leur utilité sanitaire) montre que les intérêts des humains et ceux des animaux sont loin d’être inconciliables.

Animaux morts au bénéfice de la santé humaine

Mais cela n’est pas toujours le cas. La crise de la vache folle, le grippe aviaire ou plus récemment la grippe A (surnommée au début "grippe du cochon") nous rappellent cette évidence : le destin des animaux et celui des humains sont funestement liés quand il s’agit de la sécurité sanitaire de ces derniers. En regardant les dénombrements des victimes de chaque espèce, on peut se dire que les animaux en payent le prix fort. On se souvient des euthanasies à la chaîne, on se souvient des charniers de vaches enflammés : "communauté de destin" ne veut pas toujours dire "communauté d’intérêts".

La question des liens entre santé animale et santé humaine est en cela passionnante et complexe : elle n’est pas une histoire lisse, sans vague. La mort, subie ou décidée, y occupe le premier rôle. C’est cela qu’il peut être bon de rappeler aux gardes-frontière d’une humanité et une animalité bien séparées : partager certaines caractéristiques biologiques avec les animaux nous embarque de facto dans une histoire commune. Qu’on le veuille ou non. Qu’ils le veuillent ou non. Et l’issue n’est pas nécessairement heureuse pour tout le monde. Les milliards d’animaux utilisés à des fins expérimentales ne sont plus là pour en témoigner.

On ne peut alors que donner raison au ton grave des commentateurs de "l’affaire Lycka" : en effet, ce n’est pas un sujet léger. Pas parce qu’on transgresserait indûment la frontière anthropozoologique, mais bien parce que cette affaire nous force à regarder en face l’histoire de ces animaux qui sont morts au bénéfice de la santé humaine. Il ne s’agit pas de justifier une revanche en faisant le compte des cadavres d’animaux, ni même d’établir une dette envers ceux-ci, mais de comprendre comment envisager des nouveaux types de relation dans lesquels les intérêts des animaux et des humains ne sont pas concurrents.

Source : Le Nouvel Obs

A propos de la mort des dauphins de Suisse…
La SPA demande 3000 euros pour opérer un chien