Mon chat, ma bataille
Le 10/04/2014
Dans L’année du chat de Karine Miermont, une femme tient le journal de la maladie de Nina, son animal domestique.
Comment peut-on, pendant des mois, consacrer toute son attention, toute son énergie, toute sa compassion à un chat malade du cancer? Comment peut-on, jour après jour, traverser Paris en taxi-club pour assurer à Nina les meilleures chances de survie, avec ce qu’il faut d’analyses, de scanners, de chimio et de radiothérapie?
Karine Miermont, dans cet étonnant récit, n’ignore pas les sarcasmes de ceux qui voient dans toute forme excessive d’intérêt pour les animaux une insulte aux combats de l’humanité! Pourtant, comme elle l’écrit dans ce premier livre: «L’expérience de la perte, même celle d’un animal, nous renvoie à la perte de ceux que nous aimons, et bien sûr à la nôtre, à la fin de chacun, à l’inacceptable, l’incompréhensible fin de tout être vivant.» La narratrice n’a rien, d’ailleurs, d’une célibataire acariâtre vivant seule avec son animal domestique. Elle semble mener une vie heureuse, avec son mari, ses enfants, des voisins charmants et ce qu’il faut de voyages… mais le déclin de son compagnon silencieux la bouleverse et elle a décidé, «comme pour se consoler», de tenir le journal de cette maladie.
Chuchoter des mots doux
Nina, son chat de gouttière d’origine espagnole, rejoint ainsi toute une famille de héros littéraires, du chat de Taine au chien d’Houellebecq, en passant par le Riquet d’Anatole France et le Bébert de Céline. Beaucoup de scènes se déroulent dans la salle d’attente du vétérinaire. La description des maîtres attentifs chuchotant des mots doux à leur protégé fait parfois sourire ; elle donne aussi un pincement au cœur, quand ils viennent pour mettre fin aux souffrances de cet animal domestique qui se met à trembler, comme s’il pressentait ce qui l’attend (mais n’est-ce pas là prêter nos propres sentiments aux animaux? s’interroge encore Karine Miermont). Elle nous parle tantôt avec le détachement de l’observateur, tantôt avec une émotion contrebalancée par la crainte du «ridicule», au moment où une de ses amies lutte elle-même contre le cancer. Elle s’interroge sur le sens de «l’acharnement thérapeutique» et peint en creux son propre portrait, à la fois sensible et obsessionnel par sa volonté de décrypter le mystère des choses.
Toute l’intrigue tient dans la progression de l’état de Nina, dans ses rémissions tendres et caressantes, dans la transformation de son corps progressivement paralysé, dans ces regards inquiets où l’animal lui-même semble dépassé par ce qui lui arrive.
Sans chercher à franchir les limites du genre, ce journal s’attache au quotidien, revenant sans fin sur les mêmes questions ; et c’est là que se dessine l’auteur avec son tempérament curieux, attentif au détail: «C’est étonnant, bouleversant, tout ce qui peut se produire dans la vie la plus banale à partir du moment où vous le consignez par écrit.» Ainsi, ce texte, parlant d’un chat, ne nous éloigne pas de l’humanité mais nous invite à réfléchir sur notre condition de mortels.
L’Année du chat, de Karine Miermont, Seuil, «Fiction et Cie», 132 p., 15 €.
Source : Le Figaro