Les animaux sont-ils écolos ?
Le Parisien – 30/12/2015
Cette question anodine pourrait pourtant remettre en cause notre perception de l’environnement. A condition bien sûr de savoir précisément ce que l’on entend par « écolo ».
Nous avons posé la question : « Les animaux sont-ils écolo ? » à Catherine Blois-Heulin, éthologue, chercheuse qui étudie le comportement des animaux, et sa réponse est sans appel : « Non. Ils n’ont aucune raison de l’être car ce sont des notions humaines : les animaux ne font pas de tris sélectifs, ni même de gaspillage dans leur globalité.
Quand un félin tue une proie, il ne va pas la manger en totalité mais d’autres animaux vont manger ce qu’il reste. Chez les animaux, il n’y a donc pas la recherche d’une telle démarche écologique. »
Même son de cloche chez Corine Pelluchon, professeure en philosophie à l’université de Franche-Comté, spécialiste d’éthique animale et environnementale : « Les animaux ne détruisent pas l’environnement comme nous le faisons. Le terme « écologie » a été inventé dans la seconde moitié du 19e siècle. Il désigne la science des rapports des vivants entre eux et avec leur environnement. Ce sont donc bien les humains qui étudient cette science, pas les animaux. »
Pourtant, en cherchant un peu, on trouve des espèces potentiellement nuisibles à l’environnement comme les vaches avec leurs fameux pets tant incriminés car fortement concentrés en méthane ou le cas de figure du frelon asiatique, très meurtrier pour les abeilles et qui est une vraie menace environnementale. Là encore, les deux professionnelles pointent du doigt les actions humaines : « Les frelons asiatiques, c’est encore notre faute ! s’exclame notre éthologue. C’est nous qui les avons amené, inconsciemment, par transport maritime par exemple. Et comme le climat est propice, ils se sont développés. » Quant aux bovins, la gravité du phénomène vient d’abord de l’élevage intensif, qui augmente de façon peu naturelle le nombre de vaches présentes sur Terre et crée donc un problème de toutes pièces.
La véritable question se situerait donc ailleurs, du côté de l’être humain, première espèce animale à avoir brisé le fragile équilibre en place sur notre planète : « C’est à l’humanité d’être responsable pour les autres », estime la philosophe Corine Pelluchon.
Une façon de partager la responsabilité
Ce besoin d’interroger le monde animal pour comprendre la détérioration de notre environnement est aussi le témoin d’un nouveau mode de pensée. Pour Corine Pelluchon, la nature a longtemps été considérée comme un décor de l’histoire, extérieur à notre vie et que l’on pouvait manipuler à notre guise. Or, en s’en servant comme d’un réservoir de ressources, l’espèce humaine a fragilisé son équilibre, déjà précaire. Une atteinte que la philosophe explique ainsi : « Dans la nature, il y a toujours de l’instabilité dans les écosystèmes. Mais quelque chose a été rompu pendant la révolution industrielle. Nous n’avons pas vu que la nature était fragile et qu’elle n’était pas seulement à nous, mais que nous devions la partager avec les autres vivants. A mon sens, la connaissance rehausse le respect que nous avons des autres êtres et entités. Mais pour s’intéresser en premier lieu à eux, il faut déjà se décentrer un peu, cesser de se voir comme des despotes tout-puissants ! »
Pour autant, ce n’est pas parce que les animaux ne sont pas volontairement écolos, que leur interaction avec la nature est inintéressante : « Les animaux ne dégradent pas leur environnement naturel, c’est pour cette raison qu’ils n’ont pas besoin d’être écolo… ils sont naturellement les plus respectueux de l’environnement, sans chercher à l’être ! », note Catherine Blois-Heulin.
Le comportement des animaux peut donc légitimement être au cœur de nos interrogations, d’autant plus qu’il est possible d’apprendre de ce comportement. Et Corine Pelluchon de renchérir « Les animaux ont une capacité à s’adapter à leur milieu qui témoigne d’une forme d’intelligence, si bien célébrée par Montaigne. Cette intelligence leur confère une capacité à réagir, à se déplacer quand la situation l’exige. Nous gagnerions beaucoup à les observer plus attentivement. »
A défaut d’être sciemment impliqués dans la protection de l’environnement, les animaux en sont donc les garants les plus fervents.