Les animaux officiellement « doués de sensibilité » : un point de départ ambitieux
Le 02/02/2015
LE PLUS. C’est officiel : les animaux sont désormais des « êtres vivants doués de sensibilité ». Le Parlement a définitivement adopté ce projet de loi le 28 janvier dernier. Pour Reha Hutin, présidente de la Fondation 30 Millions d’Amis et Jean-Pierre Marguénaud, professeur agrégé de Droit privé et de Sciences criminelles, cette décision est un véritable tournant historique.
Enfin !
Depuis le 28 janvier 2015, et dans l’attente de la publication au Journal officiel du projet de loi de modernisation du droit voté en lecture définitive par l’Assemblée nationale, l’animal est reconnu par le Code civil comme un « être vivant doué de sensibilité » et non plus comme un « bien-meuble ».
L’adoption de ce texte promet une extraction, concrète et effective, de l’animal de la catégorie des biens qui doit réjouir l’ensemble des défenseurs des animaux. C’est un tournant historique, qui met fin à plus de 200 ans d’une vision archaïque de l’animal dans le Code civil.
Par cette réforme humaniste, ce pilier de notre droit prend enfin en compte l’état des connaissances scientifiques et l’éthique de notre société du XXIe siècle.
Vers une meilleure prise en considération du bien-être animal
En faisant prévaloir leur valeur intrinsèque, leur capacité à éprouver du plaisir, de la peine, de l’angoisse ou encore de la souffrance, sur leur valeur marchande et patrimoniale, nous nous éloignons définitivement de la conception de l’animal machine de Descartes, qui n’est plus en adéquation avec notre rapport aux animaux.
Cette évolution n’est pas un point d’arrivée victorieux, mais un point de départ ambitieux. Elle concerne la société dans son ensemble et va faire évoluer les mentalités en faveur d’une meilleure prise en considération du bien-être animal.
Certes, elle ne va pas tout changer du jour au lendemain, mais, du jour au lendemain, cette réforme va pouvoir tout rendre possible en déverrouillant le débat juridique, qui est le seul à pouvoir permettre l’élaboration de règles particulières prenant progressivement en compte la sensibilité propre des animaux.
Le Code civil allant désormais dans le même sens que le Code rural et le Code pénal, cela va modifier de fond en comble le cadre théorique du droit animalier et renforcer la portée et l’application des dispositions protectrices des animaux existantes, par des juges qui pourront faire preuve d’une audace nouvelle.
Au plan européen, cette avancée décisive place la France à la tête des nations les plus en pointe en matière de droit civil, car elle définit l’animal positivement, pour lui-même, et non pas en creux, comme l’Allemagne, la Suisse et l’Autriche notamment, qui le considèrent juste comme « [n’étant] pas une chose ».
La modification du statut civil de l’animal était indispensable
Selon le juriste René Demogue, « le droit apparaît comme une chose infiniment belle (…) comme un immense syndicat de lutte contre les souffrances, entre tous les êtres qui sont pitoyables, parce qu’il peut leur être fait du mal, beaucoup de mal (…) ».
Le droit, s’il est vrai qu’il ne peut pas changer à lui seul les réalités les plus sordides, est bel est bien l’instrument le mieux adapté pour les faire durablement évoluer dans une direction plus respectueuse de la sensibilité des bêtes.
Le confinement par le Code civil des animaux dans la catégorie des biens meubles, aux côtés des meubles meublant comme les chaises et les armoires, constituait un puissant outil de verrouillage du débat juridique, qui profitait à ceux qui les exploitent sous la pression de plus en plus forte de critères de rentabilité mondialisée.
Dans ce contexte, la modification du statut civil de l’animal était une condition préalable à l’organisation d’un débat démocratique en vue de l’adoption de règles diminuant la souffrance des animaux.
Il faut encore faire progresser la condition animale
Tout le monde étant désormais convaincu que les animaux, êtres vivants doués de sensibilité, ne sont plus juridiquement des biens, des solutions novatrices pourront émerger, afin de résoudre, une par une et progressivement, les différentes questions de droit animalier qui se posent en matière de vie quotidienne, d’élevage intensif, de transport, d’expérimentation, de corrida ou encore de sévices graves envers les animaux sauvages.
Autant de sujets d’ores et déjà abordés dans différentes propositions de lois récemment déposées à l’initiative de députés et de sénateurs, mais n’ayant pas été mis à l’ordre du jour des débats parlementaires.
Le défi majeur qui reste désormais à relever est double : une prise de conscience de nos élus sur la nécessité de faire progresser la condition animale et la volonté de faire cesser les pratiques cruelles.
Nos concitoyens sont chaque jour plus nombreux à réclamer ce courage politique.
Source : Le Nouvel Obs