Le marché en or des croquettes pour animaux
Le 02/03/2014
Au Salon de l’agriculture, porte de Versailles, à Paris, vaches et taureaux ne sont pas les seules stars à défiler sous les applaudissements en espérant décrocher la médaille d’or du Concours général agricole. Braque d’Auvergne, malamute de l’Alaska ou bichon frisé défilent aussi sur le ring, jusqu’au dimanche 2 mars, date de la finale, fièrement entraînés par leur maître. Dans ce hall réservé aux chiens et chats, les propriétaires d’animaux de compagnie se pressent autour des stands des marques de croquettes. Chacun s’empresse de dresser le portrait-robot de son animal, et l’hôtesse livre une précieuse ration-test choisie parmi une vingtaine de variétés.
Une visite dans un rayon de supermarché confirme le constat. Les croquettes ou autres pâtées pour animaux de compagnie, qualifiés de pet food par les spécialistes, sont un formidable terrain de jeu pour les experts du marketing. D’autant que l’effet d’anthropomorphisme entre le maître et son animal joue à plein. Les entreprises rivalisent d’idées pour créer de nouveaux produits et justifier leurs prix, source de marges juteuses.
Elles jouent à fond la carte de la personnalisation. L’heureux propriétaire d’un yorkshire peut choisir désormais des croquettes spécialement élaborées pour cette race. Pour le guider dans sa sélection, la photo couleur d’un de ces terriers, petit noeud rouge fixé sur sa tête, s’affiche sur le paquet. On peut aussi choisir la pitance en fonction du poids, de la taille ou de l’âge de la bête. Du « mini-chien », au « senior âgé de 10 ans et plus » en passant par le « chien de plus de 15 kilos ». Les chats ne sont pas en reste, avec des croquettes « spéciales chat stérilisé », « chat sensible », « chat d’intérieur » ou même « pour les tigres de salon ».
OFFRET-TRAITEUR, RECETTES DU CHEF OU DOUBLE DÉLICE
Certaines marques privilégient la gourmandise supposée de l’animal. Pour ces chiens ou ces chats raffinés, le haut du panier se décline en coffret-traiteur, recettes du chef ou double délice. Elles n’ont pas non plus oublié de développer une offre de snacking. A l’heure de la récompense ou du réconfort, le toutou méritant peut croquer un bâtonnet ou un biscuit « cuit au four ».
Reste que l’un des thèmes les plus sensibles et les plus porteurs est celui de la santé. « Réduction du tartre sur les dents de 40 % », « pelage brillant et peau saine », « riche en vitamines, calcium et omega 3 », « contrôle des boules de poils » : la liste des promesses est longue. Mais, lorsque la prévention ne suffit plus et que survient une pathologie, la visite chez le vétérinaire s’impose. Et là, souvent, le maître se retrouve avec une prescription de croquettes ou de pâtées adaptées, vendues par le praticien à un prix plus élevé. Sachant que, de plus en plus souvent, les consultations portent sur des problèmes… d’obésité.
Larges gammes de produits de plus en plus segmentés, circuits de distribution spécialisés comme les animaleries ou les vétérinaires, gages de prix très rémunérateurs, la machine du pet food tourne à plein. Selon la société d’études Euromonitor, le marché mondial de la nourriture pour animaux de compagnie a pesé 74,5 milliards de dollars (54 milliards d’euros) en 2013. Elle estime qu’il devrait continuer à progresser, au rythme de plus de 6 % par an, et dépasser les 100 milliards de dollars dans cinq ans.
Il est vrai que, quand le consommateur se serre la ceinture et choisit parfois de rogner sur son budget alimentaire, il rechigne à faire de même pour son animal favori. Les ventes de pet food sont donc moins sensibles aux aléas économiques. Pour le grand bonheur des fabricants. Autre intérêt pour eux : les maîtres sont à l’écoute de tout ce qui peut, selon eux, apporter plaisir et bien-être à leur chat ou à leur chien.
POIDS DES ACTEURS AMÉRICAINS
Pas étonnant alors que cette mine d’or aiguise les appétits. Deux grands groupes se taillent la part du lion. Selon Euromonitor, l’américain Mars, connu pour ses marques Pedigree, Whiskas, Royal Canin ou Sheba, dépassait d’une courte tête son grand rival, Nestlé, en 2012, avec des parts de marché mondial respectives de 23,4 % et 23,1 %. La troisième marche du podium est occupée par un autre américain, Colgate-Palmolive et sa marque Hill’s Science Diet, très largement distancé par les deux poids lourds, puisqu’il ne revendique que 5,3 % de part de marché. Vient ensuite le leader des biens de consommation, l’américain Procter & Gamble (4,7 %). Une bataille de géants.
Pour le leader mondial de l’agroalimentaire, Nestlé, les marques Friskies et Purina figurent en bonne place aux côtés de ses labels fétiches comme Nespresso, Nescafé ou Maggi. Les ventes de croquettes ou de pâtées ont été le plus fort moteur du groupe en 2013, avec une hausse de 6,8 %, pour atteindre 11,2 milliards de francs suisses (9,2 milliards d’euros). Quant à la marge, même si elle a souffert d’un retrait aux Etats-Unis d’un produit de snacking de viande soupçonné de contenir des résidus d’antibiotiques, elle affiche la deuxième meilleure performance, à 19,2 %.
Pas étonnant de constater, hormis l’exception Nestlé, le poids des acteurs américains dans ce secteur. Le marché nord-américain reste, en effet, le plus important en taille, avec près d’un tiers des ventes. Il a encore progressé de 1 % en 2013.
Mais les fabricants surveillent avec convoitise l’évolution du niveau de vie des consommateurs en Amérique latine et en Europe de l’Est. Dans ces zones géographiques, les populations d’animaux de compagnie progressent, et croquettes et pâtées sont de plus en plus souvent à leur menu. Ces pays offrent le plus fort potentiel de développement. D’où l’investissement massif de Nestlé au Mexique. Paul Bulcke, son directeur général, a profité du Forum de Davos (Suisse), fin janvier, pour annoncer, en présence du président mexicain Enrique Peña Nieto, la création de deux nouvelles usines. L’une spécialisée en nutrition infantile. L’autre, en alimentation pour chiens et chats. A la clé, un investissement de 1 milliard de dollars
LES MARQUES MONTENT EN GAMME
En France, le marché est plus que mature. Globalement, la population de bêtes à poils stagne. Il est vrai que, comme le souligne Myriam Cohen-Welgryn, PDG de Mars Petcare & Food France, « la France, avec 11,3 millions de chats, se classe au troisième rang mondial derrière les Etats-Unis et le Japon et avec 7,3 millions de chiens au huitième rang mondial ». Ces dernières années, le nombre de chiens a eu tendance à diminuer, avec une prédilection pour les plus petites races, quand la courbe des chats évoluait en sens inverse.
Malgré cette démographie peu propice, le marché français du pet food poursuit sa croissance. Selon Euromonitor, il pesait 4,1 milliards d’euros en 2013, avec une croissance moyenne annuelle de 2,7 % sur cinq ans. En cause, l’augmentation régulière du budget que le maître accorde à son animal, même si sa taille ne cesse de rétrécir. « Il est passé en cinq ans de 125 à 145 euros par an », affirme Mme Cohen-Welgryn.
Les marques montent en gamme avec des produits dont le prix au kilo ne cesse d’augmenter. Ainsi, bâtonnets ou biscuits de snacking, un segment en plein développement, coûtent plus de 5 euros le kilo, contre une moyenne de 1,5 euro le kilo.
Mais les industriels sont confrontés à quelques défis majeurs. La baisse des ventes de pâtées au profit des croquettes déstabilise certains acteurs. De même que la pression sur les prix des grandes enseignes sur les fabricants qui produisent pour les marques de distributeurs (MDD). Sachant qu’elles ne pèsent que 27 % du marché. Les difficultés de Continentale Nutrition, spécialiste de la MDD en redressement judiciaire depuis mai 2013, le prouvent. Les 360 salariés de l’usine de Boulogne-sur-Mer (Pas-de-Calais), qui fabrique de la nourriture « humide », des pâtées donc, sont tout particulièrement inquiets pour leur avenir.
Source : Le Monde