F. Burgat : « En Inde, la violence envers les animaux est...

F. Burgat : « En Inde, la violence envers les animaux est une réalité »

Le 20/06/2014

Ce mois-ci, 30millionsdamis.fr donne la parole à Florence Burgat, philosophe et spécialiste de la question animale. Dans son nouvel ouvrage « Ahimsā » (Ed. MSH)*, elle revient sur la condition des animaux en Inde, qu’elle a étudiée. Son récit de voyage bouleverse bien des certitudes.

Fondation 30 Millions d’Amis : Vous défaites le mythe de la vache sacrée. Quel est le véritable statut de la vache en Inde ?

Florence Burgat : L’idée que la vache ait été sacrée, dans un lointain passé, n’est pas acquise. N’oublions pas que l’hindouisme ancien comprend des sacrifices animaux dont les bovins n’étaient d’ailleurs pas exclus. C’est dans l’hindouisme tardif que cette idée apparaît, mais il ne faut pas se laisser piéger par le terme « sacré ». Les vaches étaient objet de soins et de protection à une époque où elle donnait à une famille du lait, de la bouse qui, séchée, servait – et sert encore dans les campagnes – de combustible, etc. Elle travaillait la terre et, à sa mort, on prélevait ses cornes et ses sabots ; elle était plus précieuse vivante que morte. Les bovins n’ont pas d’abord été des animaux de boucherie ; il faut donc replacer cette idée dans son contexte. Malgré les efforts de Gandhi pour mobiliser les hindous pour la protection effective des bovins et proscrire leur abattage, l’Inde est devenue en 2012 le premier exportateur mondial de viande bovine. Cette information suffit à montrer que le caractère sacré des vaches est une croyance bonne pour les touristes.

F30MA : Vous avez visité de nombreux refuges et hôpitaux pour animaux. Quelles impressions avez-vous gardées de ces organismes et de leur travail ?

F B. : Ces refuges sont souvent misérables. Gandhi le déplorait déjà. Les raisons tiennent à la faiblesse des moyens, à des compétences parfois insuffisantes et à une certaine incurie. Il y a bien sûr de remarquables contre-exemples. A la fin des années 1990, certaines municipalités avaient accepté de mettre fin à l’électrocution massive des chiens errants et de passer un accord avec les associations de défense des animaux, qui avaient pu montrer, chiffres à l’appui, que ces rafles n’avaient eu aucun impact sur le nombre de chiens. Les services municipaux continuèrent de capturer les chiens, mais pour les conduire dans les associations ayant mis en œuvre l’ABC Programm (Animal Birth Control Programm) ; celui-ci consiste dans la stérilisation et la vaccination contre la rage les chiens errants, qui sont ensuite replacés sur leur territoire urbain car leur rôle de nettoyeur est apprécié : ils se nourrissent dans les poubelles. Les chirurgies se font ici ou là dans de si mauvaises conditions que l’on m’a parlé d’un taux de mortalité de la moitié des chiens… J’ai visité quelques endroits qui démentent ces propos et qui m’ont laissé une immense impression de paix : le refuge Pinjrapole de Bombay, qui recueille les vaches abandonnées et d’autres animaux, la SPCA (Society for the prevention of cruelty to animals) de Bombay, ou encore l’association Frendicoes à New Delhi (aidée par la Fondation 30 Millions d’Amis en 2010, NDLR).

F30MA : A de nombreuses reprises, vous pointez le décalage entre les croyances – religieuses et morales – et l’indifférence de la population face à la détresse animale. Comment expliquez-vous ce paradoxe au pays des Bishnoïs ?

F B. : Nous avons tendance à regarder l’Inde comme un bloc monolithique car depuis longtemps une image d’Epinal l’accompagne : le pays de la non-violence. Or, la violence interhumaine y est grande et la violence envers les animaux une réalité. L’Inde ne fait pas exception. Cependant, c’est dans sa culture, dans la pensée jaïn très exactement, qu’est forgé le devoir de non-violence étendu aux animaux que désigne le terme sanskrit Ahimsa. Ce devoir central de la religion jaïn, né en Inde au Ve siècle avant notre ère, s’applique à tous les êtres sensibles et donc aussi bien à l’homme qu’aux animaux. De ce fait, les jaïns sont tous strictement végétariens. Gandhi fit du végétarisme l’une de ses missions, ainsi qu’il l’explique dans son autobiographie.

F30MA : Votre voyage a eu lieu il y a un peu plus de 15 ans. Pensez-vous que la condition animale ait évolué en Inde depuis votre mission ?

F B. : Le fait que l’Inde soit devenu le premier exportateur mondial de viande bovine en dit assez long sur l’évolution des choses. La défense de la cause animale est, en Inde comme ailleurs, marginale. Mais les défenseurs des animaux peuvent se prévaloir d’une légitimité qu’ils n’ont pas ailleurs : l’Inde devrait être le pays de la non-violence, car c’est dans son berceau que cet idéal s’est forgé.

F30MA : Vous êtes très impliquée aux côtés de la F30MA sur la question du statut juridique de l’animal dans le Code civil…

F B. : La modification de ce statut est un premier pas absolument nécessaire pour ouvrir des portes qui, sans cela, resteront fermées ou simplement entrebâillées. Cette modification est une condition de possibilité pour des avancées qui sont bridées par l’enfermement des animaux dans la catégorie des biens, c’est-à-dire de choses sur lesquelles le propriétaire a tout pouvoir.

*« Ahimsā », de Florence Burgat, Éditions de la Maison des sciences de l’homme

Source : 30 Millions d’Amis

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