Des chats, de gouttière en comptoir
Le 19/09/2013
Des privilégiés ont eu accès au Café des chats avant l’ouverture officielle, pour que les animaux s’habituent aux clients.Des privilégiés ont eu accès au Café des chats avant l’ouverture officielle, pour que les animaux s’habituent aux clients.
La petite Khaleesi se faufile au milieu des chaises et des canapés fraîchement chinés. La chatte de cinq mois, dont le nom s’inspire de la célèbre série américaine Game of Thrones, fait partie des treize stars du Café des chats qui ouvrira officiellement ses portes dans le Marais (IIIe arrondissement parisien), samedi. «On accueillera le treizième chat ce week-end. Il sera noir et, oui, c’est fait exprès», s’amuse Margaux Gandelon, propriétaire de l’établissement.
Cette passionnée de cuisine et d’animaux s’est inspiré des neko cafés, très populaires au Japon, pour proposer un concept inédit à Paris : un salon de thé avec des chats qui vont et viennent à leur guise. «Les personnes pourront les caresser, jouer gentiment avec eux, mais seulement si les chats viennent vers eux spontanément», précise Margaux. Les futurs clients sont prévenus, le 16 rue Michel Le Comte est un terrain conquis.
Et si l’animation est assurée par le gang aux moustaches, c’est Margaux elle-même qui s’attèlera en cuisine. Petite particularité, au Café des chats les serveuses devront s’occuper des clients mais aussi des matous. «Chacune aura trois chats à sa charge, elle devra leur donner à manger, à boire et vérifier qu’ils vont bien.»
Des chats triés sur le volet
Initialement c’était la SPA qui devait «fournir» le café en félins. L’association phare de la lutte animale en France s’est finalement désolidarisée du projet. Une rétractation que Margaux explique par un «changement de direction et d’intérêt»… Trois associations ont alors accepté de confier leurs protégés au Café des chats. Phénix, qui se dédie majoritairement à la cause féline, en fait partie. «Comme beaucoup d’autres associations, on était sceptiques au départ» se souvient Elena, chargée de mission, «mais on s’est rendu compte que le projet était monté de façon à respecter le bien-être des animaux». Sur les dizaines de chats recueillis par Phénix, deux déambulent maintenant dans le café. L’une était dans une chatterie et l’autre chez un vétérinaire, en attente d’adoption. «On les a choisies parce qu’elles ont plus d’espace dans le café et elles ne seront pas seules», continue Elena, «les deux sont très sociables, on les voit bien s’adapter dans ce nouvel environnement».
Des associations solidaires mais attentives. «On a dû passer un véritable entretien d’embauche», lâche Margaux en souriant, «mais le fait que ce soit un lieu public les rassure». La jeune femme a mis en place des règles strictes (ne pas prendre un chat dans ses bras contre sa volonté, par exemple), qu’elle affichera à l’entrée du café, à côté des portraits des résidents à quatre pattes. Mais ni elle ni Elena ne se font d’illusion, «il y aura forcément des gens qui ne les respecteront pas». Des caméras seront placées dans le local pour surveiller le comportement des clients et des chats, et identifier les raisons d’éventuelles griffures litigieuses.
Mode japonaise
Margaux a lancé le projet il y a six mois. Une mise en place éclair grâce au système de financement 2.0, très en vogue : le crowdfunding. «On a récolté l’argent via Internet grâce à des donations et des réservations, de goûters, par exemple, que les gens vont venir récupérer maintenant», explique-t-elle. La jeune femme a été séduite par le concept de bar à chats, très répandus en Asie. «Un ami m’avait envoyé un article sur les neko cafés japonais. Mais j’ai eu le déclic en voyant qu’un cat café se montait à Londres et que le crowdfunding marchait bien», avant d’ajouter fièrement : «Finalement on les a coiffés au poteau, en ouvrant avant !»
Le premier bar à chats a ouvert à Taiwan en 1998. Les touristes japonais, devenus accros, exportent le concept à Osaka en 2004 et la fièvre du matou se propage rapidement sur l’archipel. Addictif car déstressant. Jean-Yves Gauchet, vétérinaire à Toulouse, explique ce succès par les effets thérapeutiques du ronronnement. Celui qui a popularisé la «ronronthérapie» en France explique que «la combinaison du son et de la vibration participe à la sécrétion d’endorphine», l’hormone du bonheur, dans le cerveau.
Un remède miracle pour les citadins à cran, qui est toutefois moins reposant pour les minous. Le neko café, tel qu’il existe au Japon, a perdu de sa substance en s’implantant sur le Vieux Continent. Au pays de l’Empereur, certains établissements permettent de louer un chat à l’heure, d’autres leur retirent les griffes pour éviter les accidents, les félins étant en «libre-service» des heures durant. Autant de pratiques peu respectueuses de l’animal qui sont a priori bannies des bars à chats européens. «Il y a beaucoup moins de chats dans notre café qu’il peut y en avoir dans les cafés au Japon. Ici on paie juste ce qu’on consomme, on ne loue pas un chat, insiste Margaux. Le café des chats ne prétend pas non plus proposer une ronronthérapie.» Les drogués aux caresses sont prévenus. «Le ronronnement est une manière de se projeter dans une forme de bien-être. C’est une démarche personnelle où l’on s’isole, ajoute Jean-Yves Gauchet. Tout le contraire de ce qu’on va retrouver dans le Café des chats, où on se réunit autour de son amour pour les félins.»
A la recherche d’un chez-soi public
Au café de Margaux, «on n’est pas dans le « tout chat ».» Canapés cosy, lumières tamisées, chocolat chaud (du vrai, du lourd, «avec du lait et du chocolat fondu» dixit Margaux). Ambiance intimiste et réconfortante. Un peu comme à la maison finalement. «On retrouve l’esprit de ces cafés, comme Starbucks, où l’on veut retrouver l’esprit familier de notre intérieur mais dans un lieu public», analyse Jérôme Michalon, chercheur au Centre Max Weber à Saint-Etienne et spécialiste des relations humain-animal. «En ville, on n’a ni le temps ni l’espace pour s’occuper d’un chat, mais beaucoup le souhaiteraient. En venant dans ce type d’établissements on a l’intérieur idéal pendant une heure.» D’ailleurs sur son site, le Café des chats ne s’en cache pas, il veut offrir à ses clients un refuge temporaire à la jungle parisienne. Le parallèle avec les bars à sieste est tentant.
Les chats comme objet de notre bien-être ? C’est la source d’une pétition circulant sur Internet, ainsi que les reproches faits, plus tôt dans la semaine, par la Fondation Bardot. Si Margaux s’en défend de façon catégorique, pour Jérôme Michalon «ce n’est pas parce qu’il y a objectification qu’il y a dégradation» de l’animal. L’association Stéphane Lamart soulève quant à elle une autre critique : utiliser les chats pour appâter la clientèle. «Dans ce cas, le chat est public donc la relation de base entre l’humain et l’animal est mercantile, concède le chercheur stéphanois. Il y a sectorisation de la vie du félin. Les coulisses ne font pas partie du concept. Là on va juste caresser les chats ou les observer.» Et pour cause. L’expérience qui implique de changer la litière de Khaleesi, entre la quiche lorraine et le café, attirerait sans doute bien peu d’amateurs.
Il est encore trop tôt pour jeter la pierre et parler de prostitution féline. «On verra bien comment sont les chats dans six mois», résume Jean-Yves Gauchet. Les associations ont promi de rendre visite de temps en temps à leurs anciens protégés. A trois jours de l’ouverture, Margaux affirme que les chats «se sont bien acclimatés à leur nouvelle maison». Reste à savoir ce qu’en penseront les Parisiens.
Source : Libération