Animaux domestiques : que ne feraient-ils pas pour nous ?
Le 18/04/2014
Sales, dangereux, vecteurs de maladies… les temps sont durs pour les animaux domestiques. Pourtant, ils n’ont jamais autant fait pour nous !
Dans le quartier du Parc Josaphat, à Schaerbeek, Yeuse est une célébrité. Inséparable de Claire, sa maîtresse en chaise roulante, ce beau golden retriever ne la quitte jamais des yeux, même quand il joue avec d’autres chiens. Mais Yeuse n’est pas seulement un compagnon fidèle et un défenseur inébranlable. Comme en témoigne le dossard jaune et bleu de l’association Dyadis, qui tranche sur la blancheur de son poil, c’est aussi un chien d’assistance, et plus précisément un chien d’aide.
Par les yeux du chien
« À côté des chiens de métier – pisteurs, policiers, sauveteurs, antidrogue, etc. – il y a les chiens d’assistance, formés pour faciliter la vie aux personnes en difficulté, explique Françoise Sion, administratrice déléguée d’Ethologia Plus. Les plus connus sont les chiens-guides, destinés aux déficients visuels. »
Des chiens qui coûtent très cher : l’éducation d’un chien-guide dans une des écoles de la Belgian Assistant Dog Federation nécessite environ 700 heures de travail réparties sur deux ans, soit un minimum de 17.600 €, pour lesquels les instances officielles n’interviennent même pas pour un tiers. Mais en vertu d’une convention d’usage international, ces chiens doivent être offerts aux non-voyants. « D’où l’importance des dons et du bénévolat, souligne Joëlle Huart, directrice de l’asbl Entrevues. Mais ça en vaut la peine, car les maîtres de chiens-guides ont beaucoup moins peur de la rue que la plupart des déficients visuels. Non seulement le chien-guide peut repérer les obstacles latéraux ou en hauteur qui échappent à la canne de locomotion, mais il peut désigner à la demande les passages pour piétons, arrêts de bus, etc. et il est capable de mémoriser toute une série d’itinéraires ! »
Le bébé pleure !
Si les chiens-guides travaillent surtout à l’extérieur, les chiens d’aide aux handicapés, comme Yeuse, prestent la plupart de leurs services à l’intérieur : ils ouvrent et ferment les portes, allument la lumière, ramassent sur le sol les objets – clés, document, couteau, lunettes… – que leur maître laisse tomber, lui apportent le téléphone… « Il existe également des chiens pour malentendants, qui réagissent à certains bruits : la sonnerie du téléphone, la sonnette, le bébé qui pleure… remarque Françoise Sion. Et, ces dernières années, on voit apparaître d’autres catégories de chiens d’assistance, comme les chiens pour personnes souffrant d’épilepsie. La plupart sont des ‘seizure response dogs’, entraînés à donner l’alarme en cas de crise, à aller chercher les médicaments de leur maître, etc. Mais certains, qui possèdent une sorte de sixième sens, deviennent des ‘seizure alert dogs’ : ils ‘sentent venir’ la crise, parfois longtemps à l’avance, et en avertissent leur maître, qui a le temps de prendre des mesures… »
Émotion…
Parce qu’ils acceptent tout le monde, quels que soient l’âge, l’état de santé, l’apparence physique ou l’intelligence, les animaux domestiques ont leur place partout. Avec sa cinquantaine de « référents » bénévoles et sa centaine de chiens, chats et cobayes, l’association Activ’Dog, fondée en 2003 sur le modèle de Zoothérapie Québec, organise quotidiennement, dans les milieux les plus divers, des activités assistées par l’animal (AAA). « Chez les jeunes ‘à problèmes’ et les handicapés, les AAA stimulent le sens de la responsabilité et la confiance en soi, souligne Marie-Paule Daniels, la coordinatrice de l’asbl. Avec les aînés dépendants, elles permettent de travailler la motricité fine par le jeu et les câlins, mais aussi de stimuler la mémoire. Ceux qui ont eu un chien se rappellent des anecdotes drôles ou émouvantes, on rit, on pleure, la seule présence de l’animal encourage au partage des émotions… Et rien n’apaise mieux les personnes confuses que de leur mettre un chat sur les genoux… » Certaines maisons de repos et de soins envoient d’ailleurs les membres de leur personnel se former avec leurs chiens chez Activ’Dog. Car, même si elles n’ont d’autre ambition que d’améliorer la qualité de vie, les AAA ne s’improvisent pas : les chiens doivent être testés et les référents suffisamment expérimentés pour « retomber sur leurs pattes » en toutes circonstances.
Villa Samson
Même les hôpitaux commencent à entrouvrir leurs portes. Ainsi, à Liège, le service de pédiatrie du CHR de la Citadelle accueille les bénévoles de l’asbl Un chien pour un sourire pour des séances de cynothérapie qui aident les enfants hospitalisés à oublier un moment la maladie et les traitements. « L’accompagnateur est toujours présent, mais il a pour instruction de se tenir en retrait, souligne Françoise Sion. Certains enfants se contentent de caresser les chiens, ou de leur raconter leurs petits secrets sans être en demande par rapport à l’adulte. La compagnie du chien les apaise et les détend… »
Et il en va de même dans les services de soins palliatifs, notamment à l’AZ Sint-Lucas de Gand, où la tâche principale du golden Dali consiste à offrir aux patients tendresse et réconfort. « Grâce à Dali, des malades fatigués d’être manipulés retrouvent le plaisir de toucher, de caresser, d’étreindre, commente Françoise Sion. Parce qu’il n’a rien à voir avec la souffrance et la mort, il est un compagnon d’évasion privilégié… »
Les responsables d’un autre hôpital flamand de la capitale, l’UZ Brussel, l’ont si bien compris qu’ils ont décidé la construction d’une annexe pas comme les autres : la Villa Samson, où les patients hospitalisés pourront recevoir la visite de leurs animaux domestiques.
Travail invisible
En psychologie aussi, les animaux peuvent faciliter la création du lien entre l’enfant et le thérapeute. « Mes chiens, mes chats, mon cochon d’Inde, mon lapin ou ma calopsitte me servent de cothérapeutes, explique la psychologue Sandra Van De Wiele, qui s’est lancée dans la thérapie assistée par l’animal (TAA) après une formation à l’Institut français de Zoothérapie. C’est une alternative thérapeutique, pas une obligation – les parents peuvent la refuser – mais la présence de l’animal rassure les enfants. Certains commencent même par se confier à lui, et je me retrouve dans une position d’observatrice. Mais je ne m’en plains pas, car les histoires qu’ils élaborent avec les animaux sont souvent des mises en scène très révélatrices de ce qu’ils vivent ailleurs… »
Mais nos animaux à nous, ceux qui vivent oisifs dans nos maisons, ils ne servent donc à rien ? « Bien sûr que si, tranche Vinciane Despret, philosophe, psychologue et éthologue de l’Université de Liège. Mais ils font un travail invisible, qui s’apparente au travail domestique : celui que l’on ne remarque que lorsqu’il n’est pas fait. Votre chien, par exemple, est à la fois entraîneur sportif, coach social – vous faites des rencontres au fil de ses promenades – et gardien sécuritaire, même si c’est un chihuahua, parce qu’en vous obligeant à sortir, il vous force à voir la ville telle qu’elle est et non telle que vous la craignez… »
Partenaires bizarres
Dans les villes, pourtant, les animaux, et les chiens en particulier, sont de plus en plus mal vus. « Et pourtant, beaucoup de gens sont en bonne santé et bien intégrés socialement parce qu’ils vivent avec un chien, constate Vinciane Despret. Bien sûr, il y a des incidents et même des accidents, et il arrive que les réactions de nos propres animaux nous étonnent et nous déconcertent, mais qui d’entre nous ne s’est jamais surpris lui-même ? L’idée d’une subjectivité unifiée est aussi absurde pour les animaux que pour les humains : comme nous, ils sont différents par moments, et parfois très imprévisibles. Tantôt ils suivent nos règles du jeu, tantôt ils en suivent d’autres, que nous ne comprenons pas, ce qui fait d’eux, selon l’expression du philosophe français Jean-François Lyotard, ‘des partenaires bizarres’. »
Une bizarrerie qui nous enrichit, car elle nous confronte à l’altérité, mais que les pouvoirs publics ont tendance à sanctionner en multipliant les interdictions. « Ils utilisent l’argument de l’hygiène, qui est à la fois imparable et injustifié car, si les gens qui ont des animaux domestiques tombaient plus facilement malades que les autres, ça se saurait ! remarque Vinciane Despret. Au lieu de les prendre de front, je suggère de chercher l’inspiration dans des initiatives comme celle de Geneviève Bernardin, qui travaillait au service propreté de Lyon. Pour que la réflexion autour du vivant en ville ne tourne pas uniquement autour des déjections – celles des chiens et des pigeons – elle a organisé, une fois par semaine, une traversée de Lyon pour les maîtres et leurs chiens, accompagnés pour l’occasion par des éducateurs canins. Semaine après semaine, les Lyonnais ont attendu le passage de la promenade avec une sympathie croissante. Peu à peu, d’autres initiatives sont apparues, et les pouvoirs publics en sont venus à se demander s’il ne se passait pas là quelque chose d’important… »
Source : Le Vif