Les animaux génétiquement modifiés finiront-ils dans nos assiettes ?

Les animaux génétiquement modifiés finiront-ils dans nos assiettes ?

Le 25/06/2015

Esope et La Fontaine en auraient sans doute fait une fable. Une agnelle, au doux nom de Rubis, est aujourd’hui au cœur, sinon d’un nouveau scandale alimentaire, du moins d’une ténébreuse affaire pour laquelle la justice a été saisie.

C’est que la bête n’était pas ordinaire : elle était née d’une mère génétiquement modifiée, au centre de Jouy-en-Josas (Yvelines) de l’Institut national de la recherche agronomique (INRA).

L’agnelle-mère était porteuse de cellules musculaires provenant d’un mouton dans lequel avait été introduit un gène de méduse, qui permet l’expression d’une protéine fluorescente utilisée comme traceur. Cela, indique l’organisme public, dans le cadre d’un programme de recherche sur « la greffe de cellules pour restaurer une fonction cardiaque défaillante suite à un infarctus du myocarde ». L’ovin servait ici de modèle pour les pathologies humaines.

Las, inadvertance ou faute délibérée d’un ou de plusieurs employés – l’enquête le dira –, Rubis a été acheminée vers un abattoir francilien, en août 2014, et sa carcasse vendue, fin octobre, à un particulier, sans que l’on sache qui l’a finalement mangée. L’INRA assure que la protéine fluorescente « ne présente aucune toxicité » et qu’ingérer cette viande n’entraînait « aucun risque pour la santé du consommateur », d’autant que l’agnelle n’exprimait pas la protéine incriminée.

Annonces parfois baroques

Ces errements n’en sont pas moins de nature à renforcer la défiance du public à l’égard des organismes génétiquement modifiés (OGM). La polémique porte habituellement sur des plantes, soja, maïs ou colza, cultivées (sur 181 millions d’hectares dans le monde en 2014) essentiellement pour l’alimentation animale et la production d’agrocarburants. Mais le règne animal est lui aussi concerné. Car il existe déjà des animaux génétiquement modifiés (AGM), et en très grand nombre, même s’ils ne sont pas – encore – arrivés dans nos assiettes.

Les premiers animaux obtenus par transgénèse, technique consistant à introduire dans le génome d’une espèce un gène issu d’un autre organisme, l’ont été avant même l’apparition des plantes transgéniques. En 1982, une équipe américaine a ainsi transféré le gène de l’hormone de croissance du rat à des souris, qui sont devenues… deux fois plus grosses que leurs congénères.

Depuis, les annonces, parfois baroques, ont défrayé la chronique. Exemple, une lapine « métissée » de méduse, conçue elle aussi au centre de Jouy-en-Josas de l’INRA : un artiste américain prônant « l’art transgénique » voulut l’exposer à Avignon en 2000, mais les chercheurs s’y opposèrent. Témoins aussi des « chèvres-araignées » dont une firme canadienne avait manipulé le génome, au début des années 2000, afin que leur lait accumule le type de protéines grâce auxquelles les arachnides produisent un fil de soie particulièrement résistant : une piste finalement abandonnée.

Recherche fondamentale

Les animaux transgéniques sont essentiellement utilisés en recherche fondamentale « à des fins médicales », souligne Christian Huygue, directeur scientifique adjoint de l’INRA, chargé de l’agriculture : « Ce sont des modèles qui nous permettent de mieux comprendre le fonctionnement de l’ensemble des gènes régulant le métabolisme et la physiologie. » Selon Christian Noisette, de l’association d’« information critique et indépendante » Inf’OGM, « des milliers d’animaux par jour – rats, lapins, poissons, chèvres, cochons, vaches… – sont modifiés génétiquement par transgénèse dans le monde, à des fins de connaissance scientifique ».

Autre application importante : la fabrication de molécules pharmaceutiques. En 2006, l’Agence européenne des médicaments a ainsi autorisé la mise sur le marché communautaire de l’ATryn, une substance anticoagulante tirée du lait de chèvres transgéniques et commercialisée par une firme américaine.

Moustique et saumon transgéniques

Mais à ce jour, nulle part au monde, les animaux transgéniques n’ont encore franchi la porte des laboratoires ou des élevages confinés. Le seul à avoir été relâché dans la nature est un moustique transgénique de la société britannique Oxitec, destiné à éradiquer ses congénères vecteurs de la dengue, la progéniture de cet « alien » n’étant pas viable. Des essais en champs ont été menés dans les îles Caïmans et en Malaisie, mais c’est surtout au Brésil qu’ont été effectués des lâchers à très grande échelle.
Un saumon transgénique à la croissance deux fois plus rapide que celle des espèces sauvages – l’AquAdvantage de la firme américaine AquaBounty Technologies, rebaptisé « Frankenfish » par ses détracteurs – tente bien, depuis des années, de se frayer un chemin jusqu’aux tables des Américains. Mais l’opinion publique s’y oppose et l’administration n’a toujours pas donné son feu vert à sa mise sur le marché. Quant au cochon Enviropig de l’université canadienne de Guelph, présenté comme écologique car ses déjections contiennent moins de phosphates, il n’a jamais été autorisé à la consommation humaine et les recherches ont tourné court.

« Amélioration de la sélection génomique »

« L’idée de recourir à la transgénèse chez les animaux, en vue d’une meilleure qualité ou d’une plus grande productivité, est largement abandonnée dans le monde, assure Christian Huygue. Imaginer agir sur un ou deux gènes particuliers est illusoire. Les progrès viendront plutôt d’une amélioration de la sélection génomique, qui permet par exemple, pour les bovins laitiers, de sélectionner les espèces les plus performantes. » C’est, aux yeux du chercheur, « la voie la plus efficace si l’on veut produire des aliments en quantité suffisante pour nourrir la planète, dans des conditions économiques, sociales et environnementales satisfaisantes ».

Les animaux génétiquement modifiés n’ont pourtant pas dit leur dernier mot. Les industriels des biotechnologies travaillent désormais sur d’autres techniques que la transgénèse. Des méthodes plus rapides, plus précises et moins coûteuses, comme « l’édition de gènes » déjà mise en œuvre dans le domaine du génie végétal. Ce procédé permet, grâce à des « ciseaux à ADN » – des nucléases –, d’opérer une coupure sur un site ciblé du génome, afin de modifier ponctuellement un gène ou de l’inactiver. Des moutons ou des bovins à la masse musculaire accrue sont ainsi en gestation en Ecosse, ou encore des cochons au taux de cholestérol plus faible en Chine. D’ici quelques années, les AGM pourraient bien être au menu des humains.

Source : Le Monde

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