Le bien-être des animaux se paie-t-il dans nos assiettes ?
Le 23/02/2013
L'UE impose aux éleveurs porcins de réaliser de lourds investissements au nom de la qualité de vie des bêtes. À quel prix pour le consommateur ?
"Les porcs doivent disposer d'un environnement correspondant à leur besoin d'exercice et à leur nature d'animal fouisseur." La législation européenne, entrée en vigueur au 1er janvier, est claire : la truie doit pouvoir s'épanouir. Pour ce faire, les truies gestantes doivent désormais vivre en groupe, et non plus en cage. La truie doit bénéficier d'un espace libre au moins égal à 2,03 mètres, si elle vit avec 39 autres de ses congénères. Dans le cas où la truie se paierait le luxe de ne vivre qu'avec cinq autres membres de son espèce, l'éleveur doit alors lui réserver un espace de 2,48 mètres. Le fait de vivre soudainement en groupe peut en effet déboussoler les truies et les rendre agressives et anxieuses, au point de déclencher une compétition alimentaire entre elles.
Ces nouvelles normes obligent donc les exploitants à changer leurs méthodes d'élevage. D'après des estimations de Bruxelles, 72 % des éleveurs français se seraient mis aux normes. Un chiffre insuffisant qui a valu à la France en début de semaine une lettre de mise en demeure de la Commission européenne. En Europe occidentale, l'Allemagne (73 %), l'Irlande (82 %) ou encore la Belgique (89 %) en ont également été les destinataires.
Le porc américain très compétitif
Ces "galons de défenseur des bêtes", Bruxelles les a gagnés l'an passé en instaurant une nouvelle législation sur l'élevage de poules pondeuses, explique Les Échos. Les exploitants avaient été contraints d'augmenter la taille des cages afin qu'elles disposent de 750 centimètres carrés chacune, et non plus seulement de 550 centimètres carrés pour vivre. Les investissements, très lourds, avaient conduit les exploitants à augmenter les prix des oeufs. D'autant plus que la flambée du prix des céréales, à l'été 2012, avait provoqué une hausse de leurs coûts de production. En mars 2012, par rapport à la même période de l'année précédente, le prix des oeufs avait ainsi augmenté de 119 %.
Certains observateurs craignent donc que le prix de la viande de porc ne suive la même trajectoire. "L'année dernière, 10 % des agriculteurs avaient déclaré qu'ils ne se conformeraient pas aux nouvelles normes et arrêteraient donc l'élevage de truies. On s'attend donc à une baisse de la production", explique Caroline Tailleur, chargée de mission à la Fédération nationale porcine (FNP). Mais les États-Unis, qui ne sont pas soumis aux normes européennes, font barrage à une hausse des prix trop importante. "L'Amérique du Nord a décidé de réduire son cheptel et a envoyé de nombreux animaux à l'abattoir. Elle est donc très compétitive sur le marché de l'export et nous a forcés à revoir nos prix à la baisse", ajoute Caroline Tailleur.
Le casse-tête de l'étiquetage
La solution pour inciter les consommateurs à acheter de la viande européenne, plutôt qu'américaine ? "Faire un travail sur l'étiquetage", répond Léopoldine Charbonneaux. "Il faut encourager la grande distribution à tenir compte du bien-être animal. On pourrait mettre en place un étiquetage en fonction des modes d'élevage", insiste-t-elle. Cette technique a été mise en place pour les oeufs, avec la création d'étiquettes "bio" ou "poules élevées en plein air". Des oeufs dits "alternatifs" qui rencontrent un fort succès auprès des consommateurs. "Mais à l'heure actuelle, la Commission européenne ne s'oriente pas du tout vers cette solution, qui permettrait en outre d'améliorer la traçabilité de la viande", souligne Caroline Tailleur.
Autre écueil : "Pour les oeufs, un tel étiquetage est facile, car ils sont souvent vendus tels quels. À partir d'un porc, il peut y avoir 400 ou 500 produits de charcuterie", remarque Caroline Tailleur. Cela pose d'importants problèmes de traçabilité. "Il y a des mélanges qui arrivent forcément à un moment de la transformation. 70 % des porcs qu'on produit en France servent à faire des produits transformés", ajoute l'experte de la FNP. Si la Commission penche pour un étiquetage UE/non-UE, les éleveurs français, eux, réclament un étiquetage basé sur l'origine nationale des produits. La Fédération nationale porcine, dans une lettre du 18 février, a déjà dénoncé des "conditions de prix intenables". Le débat est un gros morceau qui n'est pas près d'être tranché.
Source : Le Point