Les zoos français protègent-ils assez les animaux ?

Les zoos français protègent-ils assez les animaux ?

Le 05/05/2012

Derrière les hauts barbelés, le lion a perdu de sa superbe. Allongé sur une plateforme en bois, il jette un regard languissant sur son enclos quasi vide, seulement peuplé de mauvaises herbes, avant de retourner à sa torpeur.

Le même ennui est de mise dans la majorité des cages du zoo du bois d'Attilly, un parc de 19 hectares en Seine-et-Marne qui abrite 650 animaux : parmi eux, une panthère, esseulée sur un tronc, remue la queue de manière systématique, tandis qu'un serval multiplie les allers-retours le long d'une dalle. Plus loin, un porc-épic arpente sans cesse son enceinte en béton, des vautours fauves font leur toilette dans une cage trop petite pour leur permettre de voler, une famille de chimpanzés tourne en rond sur deux îlots avec un amas de pierres et un tronc d'arbre pour seul environnement, et des macaques s'accrochent aux barbelés sous le regard des visiteurs qui les nourrissent à coup de popcorns.

Ces conditions de détention des animaux ne sont pas l'apanage de ce seul zoo francilien. Elles sont à l'image d'un tiers des établissements français et de nombreux zoos européens, selon la fondation Born Free, qui a publié un rapport présenté la semaine dernière au Parlement européen, après une enquête de trois ans menée dans 21 pays de l'Union européenne.

APPLICATION DES LOIS

En France, l'ONG britannique de protection des animaux a visité de manière anonyme 25 zoos, choisis au hasard parmi les 250 que compte le territoire. Les données sur les animaux, enclos et affichages ont été filmées puis consignées et analysées selon un protocole d'évaluation (PDF) – détaillé, mais pas totalement scientifique, puisque les enquêteurs n'ont pas eu accès à l'ensemble des informations, faute d'avoir rencontré les directeurs des établissements. "Une majorité de zoos manquent à leurs obligations en termes de conservation des espèces, d'éducation du public et de santé et bien-être des animaux, tels que le requièrent les lois nationales et internationales", dénonce Daniel Turner, chargé de l'enquête.

Depuis 2005, les parcs zoologiques européens ont en effet l'obligation de respecter la "directive zoo" de 1999, qui fixe les règles d'installation et de fonctionnement. Le texte a été transposé dans le droit français par l'arrêté du 25 mars 2004, complété par le code de l'environnement et le code rural. L'article L-214 de ce dernier stipule ainsi que "tout animal doit être placé par son propriétaire dans des conditions compatibles avec les impératifs biologiques de son espèce". "Ces lois ne sont pas assez précises, déplore Franck Schrafstetter, président de l'ONG Code animal, qui a contribué à l'élaboration du rapport français. Elles ne donnent pas des normes minimales pour l'ensemble des espèces, de sorte que chaque zoo interprète les missions générales comme il le souhaite."

Les zoos français n'évoluent toutefois pas en roue libre : les directions départementales de la protection de la population (DDPP), qui dépendent des préfectures, réalisent des contrôles, qui peuvent aller de une fois par mois à une fois tous les deux ou trois ans. Madeleine Mille, directrice du zoo du bois d'Attilly, assure ainsi être contrôlée chaque mois depuis l'an dernier, quand elle a repris le parc à la succession de son père : "Nous avons entamé des travaux pour agrandir les enclos, refaire les grilles et les sas de sécurité. Mon père avait pris du retard sur les travaux à réaliser, j'en suis consciente." Les directeurs des zoos, titulaires de certificats de capacité, sont responsables auprès de l'administration du bien-être de leurs bêtes ainsi que de la sécurité du public. Mais pour la fondation Born Free, certaines DDPP manquent de sévérité envers les zoos et les recommandations qu'elles émettent ne sont pas toujours appliquées.

BIEN-ÊTRE ANIMAL

Première critique envers les zoos français : le bien-être animal n'est pas suffisamment pris en compte, selon Born Free. "L'environnement naturel des animaux sauvages est rarement reconstitué. Les enclos manquent de place, ne sont pas suffisamment complexes et souvent ne permettent pas aux bêtes de s'isoler et se cacher du public, regrette Franck Schrafstetter. Les éléphants sont de grands marcheurs qui vivent en horde : mettre quelques individus dans un petit enclos ne répond donc pas à leurs besoins physiologiques. Il en est de même pour les ours polaires, qui nécessitent de la glace et des contrées immenses, les oiseaux de proie, qui ont besoin d'espace, les singes, de nombreux arbres, ou les hippopotames, de fleuves."

Conséquence de ces manques, les animaux développent des stéréotypies, c'est-à-dire des mouvements répétitifs comme des allers-retours incessants ou des dodelinements, qui "témoignent d'une souffrance chronique", assure le chargé de mission.

"Il est certain qu'il faut améliorer l'enrichissement du milieu, tant structurel que comportemental, à l'aide de végétation en abondance ou d'agrès, afin d'éviter l'ennui et des situations d'isolement des animaux, confirme Michel Saint-Jalme, chercheur en éthologie et directeur de la ménagerie du jardin des Plantes à Paris. C'est un sujet sur lequel nous travaillons depuis un moment et pour lequel beaucoup d'efforts ont été faits depuis les années 1990, quand les zoos se sont donné des codes éthiques. Mais se mettre à jour demande du temps et de l'argent, notamment pour les petits zoos."

CONSERVATION DES ESPÈCES

Le second point de discorde entre ONG et zoos, c'est la mission de conservation qui incombe aux établissements. D'après le code de l'environnement, les zoos doivent participer à des projets de recherche, de protection ou de réintroduction d'espèces dans leurs habitats naturels. Or, selon Born Free, seulement 17 % des espèces présentes dans les 25 zoos visités étaient inscrites sur la liste rouge des espèces menacées d'extinction de l'Union internationale pour la conservation de la nature (UICN). Et à peine 16 % faisaient partie des programmes européens coordonnés d'élevage en captivité, qui ont pour but de protéger certaines espèces sensibles en gérant leur variabilité génétique. "Les zoos français ne contribuent pas de façon significative à la conservation des espèces et de la biodiversité", conclut sévèrement le rapport.

C'est là toute l'ambiguïté des zoos. A leur rôle premier, à savoir le divertissement du public, les parcs zoologiques ont adjoint d'autres missions pour contrer les critiques d'une partie de l'opinion refusant de maltraiter les animaux afin d'amuser les humains. Mais selon Eric Baratay, professeur d'histoire à l'université de Lyon et spécialiste de la question animale, ces nouvelles fonctions ne sont que partiellement remplies : "La réintroduction est un leurre. En raison du phénomène de dérive génétique, les animaux qui sont en captivité depuis plusieurs générations ne ressemblent plus à leurs ancêtres sauvages et vont donc avoir énormément de mal à se réinsérer. D'autant que l'on n'est souvent pas parvenu à préserver leur milieu naturel. La notion de conservation existe, mais elle est à double tranchant : si on voulait véritablement conserver les animaux dans leur état initial, il faudrait les détenir dans des enclos beaucoup plus grands et naturels."

En réalité, l'implication dans la conservation varie considérablement en fonction de la taille et donc des moyens des zoos. Ainsi, 50 zoos parmi les plus gros de France – qui drainent environ 80 % des 20 millions de visiteurs annuels – appartiennent à l'EAZA (European Association of Zoos and Aquaria, Association européenne des zoos et des aquariums), une organisation exigeante qui fixe des règles éthiques à ses membres et leur impose de participer à des programmes de conservation. "L'échantillon retenu par l'ONG fait baisser les chiffres de la conservation : seuls 11 des 25 zoos visités appartiennent à l'EAZA. Les autres sont des petits zoos qui manquent de subventions et de chercheurs pour mener des programmes sur la biodiversité", note Michel Saint-Jalme. Ainsi, les espèces concernées par des programmes européens de conservation atteignent 20 % dans les zoos de Beauval (Loir-et-Cher) et d'Amnéville (Moselle), 25 % à la ménagerie du jardin des Plantes, et 50 % à Doué-la-Fontaine (Maine-et-Loire), tous membres de l'EAZA.

Les missions de conservation des espèces varient considérablement selon les zoos.

Certains établissements financent par ailleurs des programmes de conservation in situ, c'est-à-dire directement dans les pays où les espèces sont menacées. Le zoo de Doué-la-Fontaine mène notamment un projet de protection des girafes au Niger, de conservation de la forêt primaire à Madagascar et de renaissance de l'écosystème de forêt sèche équatoriale au Pérou. "On cherche à maintenir une biodiversité sur place, en renforçant les populations les plus fragiles et en protégeant leur habitat naturel", explique le directeur Pierre Gay.

ÉDUCATION DU PUBLIC

Pour ce passionné de nature, la fonction principale des zoos reste de sensibiliser le public à la protection des écosystèmes. "L'idée est de délivrer un avertissement : 'ces animaux que vous trouvez extraordinaires disparaissent dans la nature'. Il faut donc protéger tant l'environnement que les espèces", explique-t-il.

Mais là encore, pour ce qui est de porter ce message, tout dépend des moyens du zoo et des choix effectués dans la sélection des espèces. "Qu'apprendra l'enfant sur les modes de vie d'un ours blanc, en captivité dans une piscine de verre, sur une fausse banquise en béton, par 30 °C à l'ombre, et mangeant de la viande préparée ?, s'interroge Franck Schrafstetter, de Code animal. Beaucoup de petits zoos ne présentent en outre pas toutes les informations scientifiques sur les espèces dans leurs panneaux d'affichage."

"Sur ce point comme sur les autres, les parcs zoologiques ont réellement progressé, rétorque Michel Saint-Jalme. On s'interroge constamment sur comment éduquer le public. Plutôt que le contact avec le conférencier, on favorise par exemple maintenant des rencontres avec les soigneurs." Et Eric Baratay de confirmer : "Si la question du caractère éthique des zoos est posée, il est certain qu'ils ont servi, au fil du temps, à rapprocher les gens des animaux, à les sensibiliser à leur sort, tant au sein des établissements que dans la nature."

Source : Le Monde

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