Des bêtes sauvages aux animaux de compagnie
Le 30/11/2014
Qu’il est gentil, le minou. Qu’il est joli, le toutou. Dans nos appartements ou nos maisons, les animaux de compagnie prospèrent.
On compte en Suisse plus de 1,35 million de chats et 500 000 chiens domestiques, soit, au total, davantage que d’enfants âgés de moins de 19 ans. Mais comment l’homme a-t-il pu transformer en gentilles bestioles des animaux qui étaient autrefois des bêtes sauvages? «Il n’y a pas qu’une seule histoire de la domestication. Il y en a plusieurs», souligne Jacqueline Studer, conservatrice du Département d’archéozoologie du Muséum d’histoire naturelle de Genève.
Plus vieil ami de l’homme, le loup a été apprivoisé il y a 18 000 ans. «A cette époque, l’humain n’était pas encore installé. C’était un chasseur-cueilleur, raconte Jacqueline Studer. On imagine que le loup – l’ancêtre des chiens – a commencé à suivre les hommes afin de manger leurs déchets alimentaires. Ces derniers ont accepté cette proximité, peut-être parce que leur capacité sensorielle beaucoup plus développée les aidait à repérer des animaux dangereux ou des proies. Cette interaction a permis aux deux espèces de se rapprocher peu à peu. C’est assez incroyable comme histoire puisque loups et hommes consomment la même nourriture. Ils sont donc en concurrence, mais ils ont réussi à s’entraider.»
Les gènes modifiés
Ce comportement n’a pas été sans effets sur le loup sauvage. «Toute domestication entraîne un stress pour l’animal. Il est forcé de vivre auprès d’un prédateur – l’homme –, il est extrait de son milieu et il change son alimentation, explique Jacqueline Studer. Sans le cas du chien, le trait domestique reconnaissable est une diminution de la taille par rapport au loup sauvage. C’est de cette manière qu’on les identifie lorsque l’on étudie des ossements.»
L’histoire se révèle un peu différente pour les chats. «Les félins se sont rapprochés de nous il y a environ 9000 ans, poursuit Jean-Denis Vigne, spécialiste d’archéozoologie au Muséum national d’histoire naturelle à Paris. A cette époque, les humains s’étaient installés et commençaient l’agriculture. Mais le stockage des céréales a probablement attiré rats et souris, qui ont eux-mêmes fait venir des chats. Les scientifiques estiment que nous avons probablement encouragé les félins à rester auprès de nous, grâce à de la nourriture, afin de chasser les rongeurs de nos habitations.»
Là encore, cette proximité a profondément transformé l’espèce. Des scientifiques de l’Université Washington de Saint Louis (Missouri, Etats-Unis) ont séquencé, analysé et comparé les génomes de félins domestiques et sauvages, afin de mieux comprendre comment cet animal est devenu notre cher compagnon. Leurs résultats, publiés le 10 novembre dans les Comptes rendus de l’Académie des sciences américaines (PNAS), montrent que plusieurs séquences d’ADN sont différentes, notamment celles portant sur la mémoire, la peur et les circuits de la récompense. «Ces travaux confirment l’hypothèse selon laquelle l’homme a attiré les félins avec de la nourriture, explique Jean-Denis Vigne, puisque cette action diminue la peur et active le système de récompense.»
La domestication des animaux a donc des effets mesurables au plus profond de leur ADN. Une autre étude confirme cette hypothèse. En 2014, des scientifiques ont comparé les génomes de lapins sauvages et de compagnie – une espèce apprivoisée il y a seulement 1400 ans. Leurs résultats, publiés dans la revue Science en août dernier, indiquent là encore que la domestication de cet animal modifie par petites touches son génome. Les gènes les plus touchés par ces altérations sont ceux impliqués dans le développement du cerveau et du système nerveux. La capacité à se trouver en alerte et à fuir au moindre danger est ainsi diminuée chez l’animal domestique. Un tel comportement n’étant plus vital à un animal vivant dans une cage à l’abri des prédateurs, les gènes codant pour de telles prédispositions ont donc été moins sélectionnés par l’évolution et, petit à petit, cette aptitude s’est estompée. Les ossements présents dans les villages du néolithique montrent que les stocks de céréales ont également attiré des renards. Pourtant, cet animal n’a pas été apprivoisé. «Peut-être parce que le chat est un chasseur de souris hors pair», envisage Jean-Denis Vigne. Ou peut-être «parce que les chats sont beaucoup plus mignons», sourit Jacqueline Studer. Quoi qu’il en soit, chats et chiens n’ont pas subi leur domestication. Elle a été, en quelque sorte, acceptée par l’homme et l’animal. Ce n’est pas le cas des herbivores.
«A partir de 9000 ans avant notre ère, l’homme a commencé à prélever au Proche-Orient quelques individus de différentes espèces dans la nature, comme des mouflons, des chèvres, des sangliers ou des aurochs – ancêtre des vaches – raconte Jacqueline Studer. Cette extraction du milieu sauvage a été, cette fois, uniquement décidée par l’humain. Elle a conduit à complètement déformer ces bêtes, si bien que certains animaux domestiques actuels, comme les vers à soie et les chihuahuas, n’ont plus aucune chance de survivre dans la nature.»
Augmentation des maladies
Etonnamment, il semble que cette domestication ne soit pas complètement liée à l’alimentation. «Pendant une dizaine de siècles, la viande consommée par l’homme est restée essentiellement issue de la chasse, note Jean-Denis Vigne. Ces animaux constituaient-ils une viande d’appoint, une source de lait ou autre chose, comme une marque de prestige?»
Mais là encore, les espèces ont été profondément modifiées. «Le premier changement morphologique est une baisse de la taille, souligne Jacqueline Studer. Il est probable que l’homme a commencé par capturer les animaux les plus petits, les plus chétifs, plus faciles à apprivoiser. De toute manière, les bêtes les plus agressives n’avaient aucune chance de survivre en captivité.»
Par ailleurs, l’étude des ossements montre chez les premiers animaux domestiqués des anomalies morphologiques et une augmentation des pathologies. «La domestication rend les animaux malades, mais aussi les humains, résume Jacqueline Studer. La proximité imposée favorise notamment la transmission des virus et bactéries de l’un à l’autre.»
Si le rapprochement des bêtes sauvages et des humains a donc débuté il y a des milliers d’années, les espèces actuelles sont néanmoins beaucoup plus modernes. «La plupart des races de chiens que nous possédons se révèlent récentes, souligne Jacqueline Studer. Elles n’ont en effet pas plus de deux siècles. Si on arrêtait le croisement sélectif, les races disparaîtraient en quelques générations.»
Source : TDG