Le lolcat, animal sacré

Le lolcat, animal sacré

Le 24/11/2015

Comment le chat peut-il faire le poids contre les méchants ? Portrait d’un régulateur émotionnel.

Les réseaux sociaux ont horreur du vide. Alors, pour répondre au « silence radio concernant les opérations de police à Bruxelles » tout en respectant leur nature partageuse, les internautes belges ont compensé dimanche soir en inondant Twitter de photos de chats. D’une pierre deux coups : impossible aux terroristes de localiser les forces de l’ordre, et petite pause trognonne dans le climat pesant.

C’est que le chat fait du bien. Le vrai, évidemment, avec son corps de peluche et ses ronronnements hypnotiques. Mais son pendant virtuel, le lolcat comme on l’appelle, celui que tout le monde aime, que tout le monde regarde, que tout le monde partage, c’est encore mieux. Visionner un chaton qui sursaute, qui tombe ou qui joue du piano est devenu (presque) un besoin vital pour l’humanité. Avec ses 1.500 vidéos postées quotidiennement sur YouTube, soit une moyenne d’une par minute (certaines cumulant des millions de vues), il devance l’ensemble du règne animal : 41.700.000 vidéos de chats sur YouTube contre 40.400.000 chiens, et loin derrière, les lapins (6.360.000), les pingouins (4.260.000), les chèvres (4.210.000) et les hérissons (3.020.000)…

Le chat apaise les tensions

C’est simple : le chat, en dix ans, a pris le contrôle d’internet. « Il est zen, relaxant, serein, observe Julie Willems, éthologue et comportementaliste animalier. Bien plus que le chien qui est parfois trop dynamique, trop envahissant. Le chat, lui, apaise les tensions et quand on l’envoie à ses proches via ces petites vidéos, en ces moments difficiles, c’est aussi une façon de partager ses peines. C’est un message de douceur, de légèreté, d’humour : lui si fier et si altier, quand il se plante, c’est encore plus drôle. Et la bonne nouvelle, c’est qu’il se fait très, très rarement mal. »

Le chat, c’est aussi la figure du bébé. C’est cet anthropomorphisme qui fait que, plus que le poisson rouge, il séduit autant les petits écrans. Et plus c’est petit, plus c’est « meugnooon » : une grosse tête, des yeux ronds, un air juvénile qui, sans interruption depuis la Seconde Guerre mondiale, cartonne dans les dessins animés, chez Disney d’abord, puis dans les mangas kawaii d’Osamu Tezuka.

Réducteur de stress

Mais outre sa bonne bouille, ce qui plaît chez le minet, ce sont les valeurs qu’il véhicule, comme l’autonomie ou la liberté qui sonnent délicieusement aux oreilles des habitants du web. En juin dernier, la Media School de l’Université de l’Indiana (USA) interrogeait 7.000 consommateurs de vidéos de chats. L’étude intitulée «  Régulation des émotions, procrastination, et vidéos de chats en ligne  », publiée dans le journal Computers in Human Behavior et reprise par le Washington Post, montre que les internautes regardent ces clips deux à trois fois par semaine, les trouvent sur le fil de leurs réseaux sociaux et se sentent « plus énergiques, plus heureux et moins stressés après les avoir regardés ». Juste un peu « coupables parce qu’ils étaient censés faire autre chose » note le Washington Post.

Les chats sur internet fonctionneraient donc comme une forme de thérapie ou de réduction du stress. Historiquement (sauf au Moyen Age), ils ont toujours bénéficié d’un gros capital sympathie : vénérés par les Égyptiens, ils sont synonymes de chance, de richesse, de longévité. Au Japon, tout le monde possède un Manekineko, cette statuette de chat du bonheur qui lève une patte, et les bars à chats où l’on prend un café avec un félin ronronnant sur les genoux se sont exportés de Tokyo jusqu’à Bruxelles…

De la même manière, regarder des vidéos de chat deviendrait une échappatoire, un moment de détente nécessaire dans la journée. Plus encore : elles auraient une utilité cruciale : celle de maintenir du lien social. Pour Kate Miltner, chercheuse à la London School of Economics, qui a expliqué le phénomène dans un mémoire, et lors d’une conférence dédiée aux mèmes (ces éléments ou phénomènes repris et déclinés en masse sur internet), les lolcats sont « la manifestation de l’émergence d’une véritable intelligence collective ». Elle a classé les fans de lolcats en trois catégories culturelles : Monsieur et Madame Tout-le-monde qui, au boulot, échangent les images par mail avec leurs amis, moyen de garder contact avec leurs proches et de partager un fou rire ; les femmes, accros à des sites comme le fameux (et premier du genre) «  I Can Haz Cheezburger  », où elles retrouvent une communauté de personnes « sympathiques et joyeuses qui procurent soutien et sourire »  ; les geeks enfin, tribu sélective, gorgée de codes et de private jokes, pour qui les lolcats ne sont qu’un instrument pour faire passer de vrais messages.

Ce sont eux, dimanche soir, qui ont viralisé Twitter au nez et à la barbe des terroristes. Ce n’était pas une première. Depuis quelques années, les lolcats sont devenus l’arme des activistes numériques. C’est la fameuse « théorie du chat mignon », lancée en 2008 par l’universitaire américain Ethan Zuckerman  : ou comment les dissidents utilisent Twitter et Facebook pour y cacher leurs messages derrière des informations sans importance (comme… des chats mignons). Difficile en effet de censurer un site de chatons. Après, comme explique l’agence de conseil en image Graphéine, « il suffit d’élaborer un code international du lolcat anti-oppression : géolocaliser une photo de son chat sur Google Map = indiquer la position d’un prisonnier politique, twitter l’état d’humeur de son chat = indiquer l’état en temps réel d’emprisonnement d’un activiste, etc. ».

Jusqu’ici, vous pensiez que ça ne pesait pas lourd un chaton, 300-400 grammes, pas vrai ? Que ça avait de toutes petites griffes, de toutes petites dents ? Vous savez maintenant, surtout s’il est marrant, qu’il fait le poids contre les méchants.

Source : Le Soir

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